Rien ne protégera jamais les victimes de la brutalité, de la cruauté et de l’injustice ; rien ne détournera les coupables du désir de vengeance, de violence et parfois de meurtre. Mais nous voulons croire que chacun –quelque soient ses blessures et quelques soient ses fautes- peut avoir l’espoir d’une élévation, ou mieux d’une « relévation ». La victime, bien sûr, dont on doit alléger la souffrance et soigner les traumatismes ; mais aussi le coupable si l’on veut qu’il ait une chance de réinsertion. L’élévation résiliente doit donc être la constante priorité de la proposition éducative faite à ceux que l’on a été contraint d’enfermer.
Cette élévation sera infiniment facilitée si « l’égaré » peut appuyer son « redressement » sur une pensée rigoureuse, portée par une langue précise et nourrie par une culture universelle .
Portant haut une pensée exigeante, la richesse culturelle et la précision linguistique feront ainsi alliance pour inviter les détenus à refuser la dictature de l’évidence et du conformisme et les garderont de la soumission aux apparences ; elles les inciteront à relever le défi de la distance et de la différence ; enfin, elles les porteront à l’analyse, à la démonstration et à l’argumentation plutôt qu’au passage à l’acte violent. Le pouvoir de parole, la capacité de compréhension, le désir culturel forgent en effet une pensée libre et forte. La défaite de la langue, c’est par contre la défaite de la pensée et elle entraîne le rétrécissement culturel ; c’est aussi l’impossibilité de se défendre contre le mensonge et la manipulation. En un mot c’est bien le pouvoir linguistique et la richesse culturelle qui permettront aux plus fragiles de « résister », c’est-à-dire d’aller contre leur première « impression » plutôt que céder à l’évidence, d’inhiber leur première impulsion en prenant le temps de l’analyse, de refuser la simplification pour accepter le doute et affronter la complexité.
Comment imaginer une démarche autonome de résilience si un être fragilisé par la détention est incapable « démonter » par les mots la complexité d’une situation douloureuse et s’il est vulnérable face aux mensonges et aux manipulation ? On ne peut espérer une élévation résiliente que si et seulement si un tel engagement est lucide et libre, protégé de la séduction vénéneuse comme de la soumission imposée. La résilience doit pouvoir s’appuyer sur un pouvoir d’analyse exigeant et sur une grande rigueur d’argumentation. Elle ne saurait être le fait d’une « révélation » présentée souvent avec une bienveillance et une compassion qui cachent une volonté perverse de soumettre. Renaître aux autres, renaître au monde suppose que l’on puisse se questionner soi-même et questionner aussi celui ou ceux qui promettent une résilience de délices et de sensualité pour peu que l’on sache choisir son camp. Comment espérer une reconstruction autonome, comment imaginer une élévation lucide si celui qui est en détresse se trouve privé de mémoire collective, de langage maîtrisé et du désir de comprendre ; condamné alors à errer dans le silence glacial d’un désert culturel et spirituel ? Il y sera soumis au premier mot d’ordre, ébloui par le premier chatoiement, trompé par le moindre mirage.
C’est d’abord en soi que chaque détenu trouvera la force et la lucidité de regarder vers le haut, même s’il n’y a personne, surtout s’il n’y a personne, pour y découvrir les récits que les hommes ont tissés pour d’autres hommes pour tenter d’apaiser leurs peurs archaïques. Se délivrer du désespoir c’est pouvoir mettre en récit un passé effrayant ; c’est savoir dire un futur plus serein ; c’est aussi questionner au plus juste celui qui nous tend la main. C’est enfin se persuader que la culture universelle qui nous rassemble tous est infiniment préférable aux croyances sectaires qui nous divisent.
L’Ecole en prison ne doit donc pas se laisser voler « le concept de spiritualité » par des gourous sectaires qui interdisent à leurs disciples d’exercer leur droit à leur propre élévation. Au contraire elle doit oser inscrire la question de la spiritualité laïque au centre de ses devoirs éducatifs pour souligner sa dimension universelle. En d’autres termes, elle défendra le fait que « l’élan spirituel » est commun à tous les hommes quel que soit le nom que lui donnent les différentes religions, quelques soient les récits que chacun raconte à son sujet, quelques soient enfin les rituels qui le célèbrent. Elle apprendra donc à tous les « élèves-détenus » que c’est la liberté d’interpréter personnellement chaque texte, fut-il sacré, qui sépare l’élan spirituel laïc de l’enfermement sectaire. C’est ainsi que nous les détournerons de ces obscures propositions qui confondent verbe et incantation, lecture et récitation, foi et endoctrinement ; là où la quête du sens est radicalement considérée comme dangereuse, profanatrice et impie. C’est en apprenant à leurs élèves à imposer aux textes de toutes natures et de toutes obédiences des interprétations singulières et respectueuses que les instituteurs en milieu carcéral éviteront que les mots des textes ne s’égrènent pour n’être plus que des mots de passe ou des mots d’ordre et que les rituels ne soient que des signes de reconnaissances qui donneront à leurs élèves l’illusion d’une communion spirituelle alors que ne les rassembleront que la peur du néant et la haine des autres.
Alain BENTOLILA, 19/02/2024
CITé veut relever quatre défis majeurs : faire triompher l'universel sur le sectarisme, le rassemblement sur le séparatisme , la tolérance sur le radicalisme et la liberté de penser sur la soumission.
C’est cet élan que CITé cherche à générer lors d'ateliers organisés autour de textes fondateurs, d'origine variées lus par le professeur. D'abord lors d'une séance de compréhension collective du texte puis lors d'un débat autour de la question universelle que le récit propose.
A l'opposé d'une pédagogie de l'entraînement mécanique , rompant avec une démarche normative , nous voulons que les participants se sentent reconnus, écoutés attentivement, respectés dans leurs propos. Ils sont ainsi valorisés, ce qui leur permet de recouvrer une estime de soi souvent dégradée par des circonstances souvent difficiles .